mardi 20 décembre 2016

La France dans le grand enjeu mondial à venir (1ère partie)

2016-2017 sont deux années charnières entre le monde de la géopolitique bipolaire telle qu’elle est sortie de la deuxième guerre mondiale, et le monde multipolaire qui s’installe. Nous avons vécu une courte période de monde unipolaire avec la disparition de l’URSS. Cette période a provisoirement permis l’éclosion de l’hégémonie américaine et donné lieu à toutes les dérives des États-Unis devenus gendarmes du monde particulièrement intéressés aux conquêtes des richesses et à la subordination des États, soit par obligation consentie, soit par les armes. Elle s’est terminée en septembre 2016 avec l’arrivée des militaires russes dans la guerre religieuse syrienne. Cette intervention a été programmée par les russes pour contenir des forces d’opposition au régime qui trouvaient leurs moyens financiers et l’aide militaire auprès de pays étrangers regroupés en coalition. Depuis 1998 la Russie a entrepris son redressement économique et militaire en s’ouvrant au libre-échange et en modernisant profondément ses armées vieillissantes. Elle joue désormais un rôle incontournable dans la paix du monde et tient toute sa place de grande nation au Conseil de Sécurité.

Mais 2016 a vu des évolutions encore plus importantes avec le rapprochement de la Russie et de la Chine (conséquence directe du rejet de la Russie par l’UE) et la réelle mise en œuvre de la politique économique et stratégique des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), groupe de pays créé en 2001 dont la première réunion a eu lieu en 2009. Son poids dans l’économie mondiale avait atteint 27 % en 2011 et pourrait atteindre, selon certaines projections, 40 % en 2025. Ils représentent une population de 3 milliards d’habitants, soit 41 % de la population mondiale ou plus de 3 fois celle des pays de l’OTAN. Bien qu’ayant un PIB/habitant inférieur à celui des pays développés, les BRICS seraient à l’origine de plus de 50 % de la croissance économique mondiale au cours des dix dernières années. Avec quatre pays dans le top 10 des puissances économiques mondiales et l’Afrique du Sud première puissance économique africaine, ce bloc va peser de plus en plus lourd dans la géopolitique mondiale et dans le rapport de forces économique et militaire. 

En plus d’accords bilatéraux économiques et stratégiques entre la Russie et la Chine,  les BRICS ont décidé, en juillet 2014, la création d'une banque de développement basée à Shanghai et d'un fonds de réserve. La banque est dotée d'un capital de 50 milliards de dollars qui devait être porté à 100 milliards de dollars en 2016. Elle peut accorder jusqu'à 350 milliards de prêts pour financer des projets d'infrastructures, de santé, d'éducation, etc. Tout ceci leur permet de plaider pour une refondation des organisations internationales comme le Conseil de Sécurité de l'ONU et les organisations de Bretton Woods (FMI, Banque mondiale). Le FMI entre autres est taxé d’exigences de réformes structurelles et d’ingérence politique intolérable en échange de son aide. On ne peut que le constater avec la Grèce en Europe.

Mais plus important encore est la création en 2001 de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS), née dans la foulée du bouleversement géopolitique entraîné par la disparition de l'URSS. En juin 2016, l’Inde et le Pakistan sont rentrés officiellement comme membres dans l’OCS.  L’entrée conjointe de ces deux pays est un signe géopolitique très fort compte-tenu de la tension qui règne entre ces deux pays depuis la création du Pakistan actuel (non encore indiqué sur la carte ci-contre). Cette organisation compte actuellement 18 États dont 10 États observateurs ou partenaires de discussion et 8 États membres. On y retrouve peu ou prou les Républiques de l’ex-URSS, encore réunies dans la Communauté des États Indépendants (CEI) dont le but est une alliance militaire. Dans les États observateurs il y a l’Iran et l’Afghanistan dont il est inutile de dire l’importance géostratégique. Le rapprochement de l’Iran, devenu partenaire de la Syrie et de la Russie dans la reconquête de l’État syrien, ainsi que les accords militaro-économiques en cours, montrent que ce pays est de facto dans l’OCS.

Avec la Biélorussie, c’est toute l’Asie et la jonction avec l’Europe qui se trouvent réunies hors monarchies pétrolières du Moyen-Orient, Turquie, Israël et Asie du Sud-Est. L’Irak, sous gouvernement chiite, n’échappera pas à l’attraction de ce pôle géostratégique. En dehors de relations de bon voisinage (Cf. Inde-Pakistan), les objectifs sont multiples. Il y a d’abord le renforcement de  la coopération entre ces États dans les domaines politiques, économiques et commerciaux, scientifiques et techniques, culturels et éducatifs, ainsi que dans les domaines de l’énergie, des transports, du tourisme et de l’environnement. Mais en plus d’un objectif  de paix, de sécurité et de stabilité régionales,  celui de la création d’un nouvel ordre politique et économique international, plus juste et démocratique, est clairement affiché. 

En réalité ce nouvel ordre politique et économique international s’oppose frontalement au Nouvel Ordre Mondial (NOM) qui définit un monde unipolaire sous la coupe de l’hégémonie américaine. Par les BRICS et l’OCS, la Russie, la Chine, l’Inde et bientôt l’Iran, tiennent l’essentiel de l’Asie hors de la mainmise des États-Unis sur le Sud-Est, avec en plus un point d’ancrage en Afrique et en Amérique du Sud. Si les États d’Asie du Sud-Est, comme la Corée du Sud, Taïwan, le Japon, la Malaisie et les Philippines sont encore dans le glacis américain, ces dernières s’opposent de plus en plus brutalement aux États-Unis. De ces deux organisations BRICS et OCS vont sortir de grands projets d’infrastructures sur le transport des hommes, des produits manufacturés, des matières premières, en particulier énergétiques, du Pacifique à la Méditerranée par les routes de la soie terrestre et maritime bénéficiant des derniers progrès de la technologie. Les projets sont déjà en train de s’élaborer et par exemple la liaison ferroviaire rapide Pékin-Paris est un projet à l’étude. C’est une gigantesque poussée de l’Asie dans la modernité. On voit mal comment tous les autres pays de l’Asie y échapperont d’une façon ou d’une autre, les uns après les autres, malgré les efforts des États-Unis pour faire signer l’accord de partenariat trans-pacifique (TPP), équivalent au TIPP pour l’UE, que Donald Trump veut d’ailleurs abandonner.

Mais il n’y a pas que cet aspect de création d’un bloc d’États indépendants où la présence de trois pays puissants, le trio Russie-Chine-Inde, garantit sa multipolarité au contraire du bloc occidental sous la coupe économique et militaire des États-Unis qui gèrent des vassaux. Le système monétaire mondial est à bout de souffle avec une dette mondiale abyssale qui aurait dépassé les 60.000 milliards de dollars selon « The Economist » et l’introduction du renminbi (yuan chinois) comme monnaie de réserve signe la fin de la domination du dollar. Mais l’Europe, et la France que deviennent-elles dans tout ça ? Nous allons en parler dans les prochains articles. 

Nous vivons une époque charnière qui va changer le monde.

Celle des hégémonies, française, puis britannique, 

Et depuis la fin de la seconde guerre mondiale

Celle de l’hégémonie américaine contrée 

Par une bipolarité pendant un temps

Seulement provisoire, prend fin !

Claude Trouvé 
Coordonnateur MPF du Languedoc-Roussillon