mardi 10 janvier 2012

Tobin or not tobin ?

C’est l’affaire du jour, qui succède à la TVA sociale, au rythme que Nicolas Sarkozy imprime à la campagne. Le président occupe l’espace médiatique, vole une idée de la gauche et met les socialistes à la remorque de ses initiatives.  Il y a donc deux aspects à cette fusée sarkozyste, l’aspect politique et l’aspect économique.

En dehors du coup médiatique, que dit la presse sur l’aspect économique ? Pour Les Echos, le verdict est radical : la mise en œuvre de la taxe Tobin "dans un seul pays court droit à l'échec, comme l'a prouvé la Suède il y a près de trente ans." "La taxe Tobin ne marche pas dans un seul pays, sauf à vouloir chasser à l'étranger des activités financières honorables et des leviers de pouvoir indispensables", écrit l'éditorialiste Jean-Marc Vittori. Et Jean Levallois (La Presse de la Manche) explique que cette mesure "devrait même être prise en commun par l'ensemble des pays membres dans le cadre de l'Onu. Ce qui promet de renvoyer cette taxe, pourtant justifiée, aux calendes grecques". 

L’aspect économique est tout-de-même le fond du problème. Alors revenons à l’origine de l’idée émise par James Tobin en 1972. Elle consiste en une taxation des transactions monétaires internationales dans le but de ne plus inciter à la spéculation à court terme. Le taux choisi serait faible, de 0,05 % à 1 %. Pourquoi pas plus de 1% ? Tout simplement parce que le masse financière mondiale en jeu (44.000 milliards de dollars pour 4.292.000 milliards de transactions en 2008) est 100 fois inférieure au volume des transactions. Cette idée a été reprise par les mouvements altermondialistes pour permettre d’aider les pays du quart monde au grand dam de Tobin, fervent défenseur du libre-échangisme, du FMI et de la Banque mondiale, qui a parlé d’un détournement de son idée. 

Pour Tobin, son application devait être mondiale et sous contrôle de l’ONU. Les défenseurs prônent qu’elle serait un frein à la spéculation et de nature à favoriser le développement. C’est la recherche de nouveaux besoins de financement de la croissance qui a en fait poussé en 2010 et 2011 le Parlement Européen, sous l’impulsion des socialistes, à souhaiter cette taxe au niveau européen. Selon la Commission Européenne ce projet serait à mettre en place avant 2014. Aux pays favorables France, Allemagne, Espagne, Belgique, Finlande s’opposent principalement le Royaume-Uni et la Suède. Cette dernière a de bonnes raisons pour l’avoir essayée et avoir constaté une évaporation des transactions sur la bourse de Stockholm. 

Deux conditions sont nécessaires au départ pour la réussite de cette taxe, son application mondiale et sa généralisation sur toutes les transactions financières. Or l’application sur la seule Europe présente le risque de voir fuir les transactions financières surtout si la City en est exclue, car Wall Street et les bourses asiatiques sont de plus en plus actives. De plus son application est envisagée en excluant les transactions sur les produits dérivés. Or elles représentent l’essentiel de l’activité des marchés financiers et croissent d’une vingtaine de pourcent par an. En effet les produits dérivés ne requièrent aucun placement initial et jouent sur la valeur future du produit sous-jacent.

On peut ajouter la difficulté d’application d’une taxe sur des mouvements financiers ultra-rapides sur la toile internet et le fait qu’in fine les banques répercuteront cette taxe sur l’ensemble de ses clients, ce qui ne va pas dans le sens du pouvoir d’achat des consommateurs et donc de la croissance, qui en est particulièrement tributaire en France. C’est bien là ce qui obère la possibilité de pratiquer cette taxe en France seulement. Il n’est de plus pas sans risque de partir seul si l’application aux autres pays européens se fait attendre. La Bourse de Paris serait alors touchée de plein fouet. 

On peut penser que Nicolas Sarkozy joue un coup de bluff auprès de ses partenaires européens, sachant qu’il sera bien difficile de la mettre en place avant les élections. Mais sur le fond on voit bien que l’argument initial de lutte contre la spéculation fait place à celui de trouver une nouvelle source de financement des états même si cela se fait au détriment de leurs citoyens. En effet la crise des subprimes n'est pas due à la spéculation mais a sa source dans la masse des prêts consentis  par les banquiers, masse qui n’avait plus aucun rapport avec leurs fonds propres, d’où l’impossibilité de faire face aux défauts de paiement quand le marché de l’immobilier est venu à saturation. 

Le MPF ne peut donc que s’opposer à une taxe Tobin appliquée en Europe seule et à fortiori en France seule. Dans ce dernier cas il s’agirait d’une mesure bricolée encore à la hâte et aux conséquences imprévisibles et d’autant plus néfastes. Elle ne saurait justifier une nouvelle salve médiatique pour une réélection encore gagnable.

 «  Un cheval, mon royaume pour un cheval !  hurlait Richard III. » 

Ça s'est mal terminé, non ? 

Claude Trouvé